Genèse du projet : quand le Parchemin et la Maison Paysanne s’allient autour de l’alimentation
La directrice du Chantier d’Insertion Le Parchemin à Limoux a sollicité la Maison Paysanne de l’Aude fin 2024, car au-delà des aspects purement professionnels sur lesquels les salariés de sa structure sont amenés à réfléchir lors de leur passage, il lui semblait essentiel de créer un espace pour aborder les questions d’alimentation. En effet, tout le monde est censé manger plusieurs fois par jour, et nous connaissons maintenant scientifiquement l’impact que notre alimentation peut avoir sur notre santé ainsi que sur l’environnement.
Soucieuse de pouvoir aborder ces sujets avec des publics aux parcours variés, au-delà de ses réseaux habituels, la Maison Paysanne s’est emparée de cette opportunité pour concevoir un projet dont l’objectif serait de lever les freins à l’accès à une alimentation locale, saine et choisie, en s’appuyant sur les réalités de chacun·e et les ressources du territoire.
C’est ainsi qu’avec l’aide des fonds « Mieux Manger Pour Tous », Alexandra et Margot – animatrices Circuits Courts et Projet Alimentaire Territorial Haute Vallée de l’Aude – ont pu débuter l’animation d’un premier cycle de sept ateliers d’une demi-journée chacun entre avril et juillet 2025.
L’équipe a voulu être ambitieuse : l’idée était de balayer la thématique de l’alimentation saine et locale en partant exclusivement des besoins et des envies des participants, en mélangeant pratique et théorie et en s’appuyant sur une méthodologie collaborative reprenant des outils de l’éducation populaire… Rien que ça.
Pour plonger les participants dans le concret, tous les ateliers débutaient par un accueil convivial autour d’un petit déjeuner comprenant des fruits frais et secs de saison ainsi que des gâteaux secs bio. Selon les semaines, nous avons varié les « à-côtés » : fromages, yaourt, charcuterie… Les quantités variaient selon leur accessibilité financière et les recommandations nutritionnelles. L’objectif était d’avoir l’opportunité de se constituer des encas équilibrés ou tout du moins sains mais gourmands. Tous les produits étaient paysans, bio et locaux. Ces moments étaient envisagés comme inspirants et reproductibles selon ses moyens au quotidien.
Genèse du projet : quand le Parchemin et la Maison Paysanne s’allient autour de l’alimentation
Le premier atelier était intitulé Interconnaissance.
Le groupe de salariés était constitué de 16 volontaires de différents chantiers du Parchemin, qui ne se connaissaient pour beaucoup peu ou pas. L’objectif était alors de créer un espace de rencontre afin que nous puissions tous faire connaissance, sous l’angle de notre alimentation : qui est plutôt sucré/salé ? plat/dessert ? quels sont nos souvenirs de plats de notre enfance ? Nous avons tenté d’approcher le côté sensible que peut avoir l’alimentation pour chacun… Les échanges ont permis d’identifier des difficultés rencontrées dans leur rapport à l’alimentation : fatigue liée au travail, charge mentale autour des repas familiaux, contraintes budgétaires, manque de temps ou de connaissance sur les alternatives locales à la grande distribution… Autant de réalités qui orientent les choix alimentaires, parfois à contre-cœur.
L’aventure était lancée ! À l’aide d’un photolangage, chacun a pu mettre des mots et des images sur son rapport à l’alimentation : ce qu’elle évoque, les obstacles rencontrés, les envies et les attentes vis-à-vis du cycle.
Des thèmes tels que l’équilibre alimentaire, le bien manger pour pas cher, la réalité du bio, l’obtention de recettes de cuisine, ont été abordés puis approfondis-en demi-groupe lors de la seconde séance.
La co-construction a été questionnée tout au long de ces ateliers par l’équipe d’animatrices. Comment garder une posture objective ? Comment ne pas orienter les thématiques choisies par nos biais personnels et militants ? Quels produits utiliser pendant les ateliers cuisine ? Ceux de leur écosystème alimentaire courant ou les produits bio et locaux de nos réseaux ? Comment prendre en considération les questions économiques de l’alimentation tout en questionnant le système agro industriel ? Bref, la construction de ces ateliers a également permis aux animatrices de réfléchir à leurs postures et de faire évoluer leurs positionnements individuels sur cette question d’accompagnement alimentaire.
Le troisième atelier a été consacré à des préparations culinaires autour des légumineuses et de l’équilibre alimentaire, en profitant de l’intervention de Clémence Bracon, diététicienne membre de la SCIC Nourrir l’Avenir. Après de nombreux échanges, il a été décidé que les légumes seraient locaux et bio, provenant de maraîchères de Limoux et ainsi facilement trouvables (soit au marché, soit à l’EPAS). Les légumineuses provenaient quant à elles de la SCIC Graines Equitables, bio et locale. Tout le reste provenait d’une grande surface, et les coûts de chaque recette ont été donnés.
Il y avait une douzaine de participants répartis en binôme, tous enchantés de cuisiner ensemble malgré les craintes anticipées de quelques-uns. Tout le monde s’est entraidé, a découvert de nouveaux produits, de nouvelles saveurs et de nouvelles recettes ; en parallèle de jeux autour de l’équilibre alimentaire. Cet atelier s’est clôturé par le repas où les recettes de chacun ont pu être dégustées. Ce fut un succès !
Bien que nous ayons dégagé un fil rouge grâce aux premiers ateliers « d’enquêtes », nous avons choisi de planifier et de construire chaque séance au fur et à mesure. Cette démarche a été rendue possible grâce à la souplesse de la direction du Parchemin et à la réactivité des animatrices, qui ont pu adapter le programme en fonction des échanges et des questionnements émergents du groupe.
C’est notamment comme cela qu’a surgi le quatrième atelier ! Curieuse de nos interventions, une encadrante du Parchemin a proposé d’aller visiter le jardin d’Abdellah, un salarié discret qui n’était pas dans notre groupe de volontaires. Au-delà de son activité au Parchemin, celui-ci cultive un potager dans les jardins partagés de Flassian à Limoux et il fournit ainsi régulièrement les uns en plants, les autres en légumes… La visite a été organisée en 2 groupes, pour faciliter la discussion. Abdellah a pris son rôle très au sérieux, nous expliquant tous les détails de ses plantations, de ses variétés de légumes, sa production de semences, sa serre pépinière pour lancer les plants, les rotations de légumes, ses composts…Ce fut d’une grande richesse. Chacun a pris conscience que faire du jardin était possible, pas simple certes, mais accessible. Chacun a pu poser des questions, ramasser quelques légumes et herbes fraîches. Le second groupe a même pu déguster le traditionnel thé à la menthe avec celle fraîchement cueillie, mêlant ainsi partage technique et culturel.
Le cinquième atelier a été conçu par les animatrices pour répondre aux doutes et questionnements concernant l’agriculture biologique. Mais comment parler du bio sans trop politiser la question ? Comment aborder le sujet en étant constructives et non stigmatisantes ? Comment mettre des mots sur les réalités derrière les prix des produits ? La réponse a été trouvée dans les demandes émises au démarrage : faire des dégustations ! C’est ainsi qu’un panel a été conçu avec cinq produits bruts (pain, miel, huile d’olive, purée de pommes, yaourt vanille), conçus de trois manières différentes : ultra transformés, industriels, bio et/ou local. Les participants, répartis en binômes, devaient observer, goûter, deviner le mode de production, puis commenter les emballages : est-ce que ça semble naturel ? quelles couleurs sont utilisées ? quelle typographie ?
Un temps de restitution collective a ensuite permis à chacun de goûter chaque produit en écoutant les commentaires du binôme qui en était responsable, avant que les animatrices n’explicitent les différents modes de production.
Le pain blanc industriel :
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- Comment est fait le choix des semences pour ce blé en particulier : privilégier le rendement, la facilité de transformation (et donc du blé très chargé en gluten, moins digeste), …
- Comment est produite la farine utilisée : l’industrialisation du procédé et les impacts environnementaux et sociaux tels que la perte de valeur nutritive
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Nous avons constaté que, d’un seul coup, la baguette industrielle n’était plus aussi anodine. On touchait du doigt que faire le choix d’acheter, ou non, une baguette industrielle devenait un acte citoyen. Pour certains produits, le volet financier était plus impactant que pour d’autres ; mais certains yaourts ultra-transformés ne coûtaient pas bien moins cher au kilo qu’un produit local plus sain mais restant gourmands.
Le sixième atelier a été réalisé dans le but d’ouvrir des pistes pour « savoir trouver des produits locaux, frais et de qualité », aussi exposé au démarrage sous la forme d’une cartographie des lieux d’approvisionnement « réalistes » avec nos modes de vies… Il faut dire que la grande distribution a cela de pratique : rendre accessible tout et n’importe quoi sur des horaires étendus et un peu partout sur nos chemins !
Nous avons donc choisi de visibiliser deux types d’approvisionnement différents : le marché de Limoux (du vendredi matin) et le drive à collecter de l’EPAS. Les salariés ont ainsi pu visiter le lieu où tous les producteurs se rassemblent pour organiser la distribution hebdomadaire de l’EPAS avant d’envoyer les commandes dans les différents villages (photo de gauche). La palette de Limoux a été suivie jusqu’à la Maison Paysanne où les bénévoles attendaient pour constituer les paniers individuels des consommateurs. Ce système se différencie des AMAP par le fait que les produits dans le panier sont choisis.
Le marché de Limoux a aussi été visité avec pour objectif de repérer les revendeurs, les producteurs et d’identifier les différences de prix. La comparaison des prix au kilo nous a permis de trouver que les oranges les moins chères ce jour… étaient bio et européennes !
Le septième atelier nous a tous rassemblés autour des fourneaux pour cuisiner collectivement sous l’œil et les conseils d’un traiteur spécialisé dans la cuisine végétarienne. Les huit recettes apprises ont été préparées en quantité afin de pouvoir inviter l’ensemble des salariés et de l’équipe permanente du Parchemin présente ce jour-là, soit environ 60-70 personnes (photo de droite).
La convivialité du moment était à l’image de l’ambiance créée par le groupe tout au long de ce cycle !
Mention spéciale pour les citrons confits, que certains participants nous ont confié avoir refait à la maison depuis pour agrémenter leurs recettes !
Des apprentissages partagés, des pratiques qui évoluent
L’été passé, nous avons fait tourner un questionnaire anonyme afin de recueillir les retours des différents participants. L’objectif pour l’équipe d’animation était d’identifier les forces et voies d’amélioration du programme. Nous cherchions aussi à savoir si nous pouvons clôturer ce cycle, ou si les participants ressentaient le besoin d’approfondir certains sujets.
Nous avons aussi questionné la direction du Parchemin et les encadrants sur leurs ressentis afin de planifier au mieux notre collaboration pour la prochaine saison.
Un premier bilan a ainsi été dressé puis présenté au groupe de salariés volontaires afin d’en discuter et de conclure ensemble ce cycle. Aucun sujet n’est ressorti comme manquant, l’ambiance créée dans le groupe et la volonté de l’équipe de fédérer a été appréciée. La diversité des ateliers a permis d’aborder un grand nombre de sujets priorisés, de manière ludique et pour certains de conduire à des changements de pratiques : diminution des goûters industriels sucrés au profit de fruits pour son enfant, intégration de légumes crus à ses assiettes, reconnexion à ses temps de repas, cuisiner en famille, perte de poids et sensation de meilleure santé… Nous en avions les larmes aux yeux.
Alors tous et toutes n’ont pas été impactés de la même manière. Mais nous retenons que ces temps de qualité et de partage autour d’un en-cas choisi nous ont permis de tisser des liens et de tous nous questionner sur nos pratiques, des deux côtés du spectre !
C’est ainsi que nous repartons pour une nouvelle saison, d’autant plus conscientes de nos subjectivités individuelles et de notre volonté de collaborer afin de révéler en chacun.e une motivation profonde de s’emparer de son alimentation pour faire bouger les lignes.
Des ressources pour en savoir plus
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- L’impact de l’alimentation sur l’environnement, par l’INRAE, 2021. En savoir plus
- L’impact de l’alimentation sur la santé, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 2018. En savoir plus
- L’Epicerie Paysanne Ambulante et Solidaire, par la Maison Paysanne de l’Aude, 2025. En savoir plus
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